dimanche 25 janvier 2015 à 20h30
Projection "Wake in fright" de Ted Kotcheff, 1971, Australie
Wake in fright aka "the outback" aka "Réveil dans la terreur"
€1
11 ans avant de réaliser « Rambo », le réalisateur Ted Kotcheff livre sa vision de l'Australie Profonde…
« Wake in Fright n'a rien de surnaturel, et pourtant les sous-genres du fantastique s'y entrechoquent sans cesse, de l'horreur à l'étrange en passant même par le film de fantômes. Le destin du film a d'ailleurs, lui-même, quelque chose de spectral : peu après sa présentation à Cannes en 1971 et le petit séisme qui s'en suivit, sa copie fut égarée, le condamnant à rester invisible, suspendu dans les limbes. Jusqu'à sa parution en Blu-ray près de quarante ans plus tard, The Outback (c'est son titre initial) a donc hanté la mémoire collective de l'Australie. Sa structure rappelle aussi le conte gothique - mais au sens où les périples conradiens, par exemple, peuvent eux-mêmes se rattacher au genre (Au coeur des ténèbres en tête). Adaptée d'un best-seller local, l'histoire est celle d'un voyage, aussi bien temporel que spatial, vers une terre lointaine et revêche dont la folie est la principale attraction. Ce voyage, c'est celui de John Grant, instituteur en route pour Sydney, et contraint de faire halte dans un patelin aride où l'étrange bonhommie ambiante (pintes avalées à la chaine dans de miteuses gargotes) finira par le happer. Il s'agit de Bundanyabba (« The Yabba »), suffocante bourgade minière et dernier guichet avant la barbarie. »
Texte de Yal Sadat repris du site Chronicart.com A lire en entier ICI
« Bobine aride et alcoolisée qui nous vient tout droit d'Australie, entre pur film d'auteur prenant le temps de poser son rythme et envolées sous acide dérangeantes. Peinture scandaleuse du petit peuple des sables australiens, visages farfelus, jeux dangereux et chasses au kangourou. La nouvelle vague australienne envoie du lourd, du poisseux, de l'antipathique, en évitant toute forme de manichéisme. »
Xavier Chan sur senscritique.com, plus d'infos ICI
Bonus : every drink in wake in fright !
Extrait d'une interview du réalisateur réalisée à l'occasion d'une projection rétrospective du film Wake in Fright.
Alors, comment est-ce qu'un canadien se retrouve à faire un film dans l'arrière-pays australien ?
[…] je me suis rendu en Australie et j'étais un peu anxieux, car je me disais que je ne savais rien sur la vie dans l'arrière-pays de l'Australie. Mais lorsque je suis arrivé, ce n'était pas si différent que ce que j'avais vécu dans le nord du Canada. C'était les même vastes espaces qui ne vous libèrent pas, mais qui vous piègent, il y a un sentiment de claustrophobie, ça t'emprisonne. Et les gens avaient le même genre de philosophie masculine - les femmes existaient à peine dans ce monde. C'était intéressant, à Broken Hill [la ville où a eu lieu le tournage], le taux de suicide était cinq fois plus élevé que la moyenne nationale de l'Australie, qui est déjà très élevée, et la majorité des suicides étaient des femmes.
Parce que les femmes étaient exclues; il n'y avait rien d'autre là-bas sauf le désert. Et le peu qu'il y avait, les femmes en étaient exclues - elles ne pouvaient pas entrer dans les pubs, ne pouvaient pas aller dans les clubs, elles restaient à la maison alors que leurs maris et leurs petits amis allaient boire, se battre et tirer sur des kangourous, elles restaient à la maison et la nuit, certaines d'entre-elles décidaient de mettre leur tête dans un four. La même chose ne pouvait pas s'appliquer au nord du Canada, mais c'était la même philosophie masculine, alors j'ai pensé « Ah, je comprends très bien ces personnes », car j'avais vécu quelque chose de très similaire.
La chasse au kangourou - c'était quelque chose qui se déroulait déjà et que vous avez simplement eu l'opportunité de filmer ?
Ce qui s'est passé - c'était un grand problème pour moi. Je me rappelle avoir vu un film français dans les années 1940 et pour démontrer l'inhumanité de l'homme envers les hommes et envers les animaux, il y a une scène où des vétérans de la première guerre mondiale versent de l'essence sur un chien et le mettent en feu. Et on sait qu'ils l'ont réellement fait. Ils ont incinéré un chien dans le but de démontrer à quel point les humains peuvent être cruels. Et je me suis dit, attendez un instant, vous avez commis la cruauté ultime - vous l'avez fait pour un film! Le faire pour un film était, selon moi, impardonnable. J'ai donc été confronté à un réel dilemme moral sur la façon de filmer la chasse au kangourou.
Puisque c'était probablement un élément central du livre ?
Oui. Alors pendant que je méditais sur ce dilemme, l'un des Australiens m'a dit : « Et bien, tu sais Ted, ils tirent sur des centaines de kangourous à tous les soirs. Ils le font commercialement. Les carcasses de viande de kangourou, ils les abattent pour l'industrie américaine de nourriture pour animaux de compagnie. » Et j'ai dit : « Tu veux dire que tous ces Américains donnent de la viande de kangourou à leurs chats et chiens ? » Tant pis pour les amis des animaux, non ?
Donc, la solution était d'aller avec eux et de simplement filmer ce qu'ils faisaient tous les soirs de toute façon. Alors j'ai mis ma caméra à l'arrière d'une camionnette, et ils chassent exactement de la même manière que les chasseurs canadiens le font avec les cerfs - ils ont un projecteur, et leur pare-brise est rétractable, ils n'ont jamais quitté la camionnette - et lorsqu'ils voyaient un kangourou, ils allument la lumière et le kangourou demeure là, hypnotisé. Ils appuyaient leurs fusils sur le tableau de bord et ils tiraient à travers le pare-brise. Et je n'ai rien fait d'autre que mettre ma caméra sur la camionnette.
Qu'a fait Wake in Fright pour vous du point de vue de la critique lorsque le film est sorti ?
Il a eu une histoire extraordinaire. Au festival du film de Cannes il a été nominé pour la Palme d'or - la critique française adore ce type de film - des hommes sous un stress existentiel - l'auto-dégradation, la descente en enfer… le film a très bien réussi là-bas - il a été présenté pendant 9 mois sur les Champs-Élysées. Aux États-unis, United Artists n'a jamais aimé le film - sans aucune publicité, ils l'ont sorti un dimanche soir dans un petit cinéma de l'est de New York dans un blizzard. Et bien sûr, personne ne s'y est présenté. Alors ils ont dit : « Vous voyez, personne ne veut le voir!» Et le film est mort, même si Rex Reed l'a nommé l'un des 10 meilleurs films de l'année.
Mais ensuite, il a juste disparu, il fût considéré un film perdu pour une longue période.
Et bien, c'est ce qui arrive quand personne n'y trouve un intérêt. Mais 25 ans plus tard, l'un des producteurs du côté australien a demandé : « Où sont les négatifs pour Wake in Fright? » Ils ont finalement refaits surface dans un entrepôt à Pittsburgh, où ils allaient être détruits et auraient été perdus pour toujours s'ils étaient arrivés une semaine plus tard.
(Traduction d'entrevue: Emilie Christiansen)