mercredi 14 décembre 2016 à 19h
MHE Quand il ne nous reste plus rien dans quoi nous insérer...
Entretien inter-actif et débat avec Bruno Frère, sociologue, maître de conférences à l'Université de Liège, auteur entre autres de Le nouvel esprit solidaire, Préface de Luc Boltanski (2009) et co-directeur avec Marc Jaquemain de l'ouvrage collectif Résister au Quotidien ?(2013).
L'entretien sera séquencé par des courtes séquences vidéo, extraites de :
Les Nouveaux pauvres (webdocu interactif, RTBF et entre autres Instants Productions) et Classes moyennes, pauvres demain? (docu/Arte, de J.Pinzler et J. Von Mirbach)
avec le soutien de La Zone et de PhiloCité®
L'analyse de Riposte.cte: Depuis plus de dix ans maintenant, l'Etat Social Actif nous enjoint de nous insérer. Flexibilité, employabilité, auto-entrepreunariat sont devenus les maîtres-mots de notre devenir professionnel. Nous portons désormais l'entière et unique responsabilité de ne pas y arriver. Le jeu est vicieux, non pas tant que parce que les moyens de le faire ne nous seraient pas dispensés mais parce que ce dans quoi nous sommes sensés nous insérer s'effiloche, se délite, jour après jour, sous les coups de boutoir du système lui-même qui nous donne ce qu'il dévore comme modèle à intégrer.
Que se passe-t-il en vrai ? Il se passe que la classe moyenne se couche. La société née de l'après-guerre avait lentement pris la forme d'une Montgolfière pointant vers le ciel, le ventre gonflé d'une classe ouvrière ascendante. Celle-ci semblait enfin récolter, nous disait-on, la juste part de la richesse qu'elle produisait par son travail quotidien, une part ruisselant des poches de ceux dont elle alimentait à la base les fortunes. Aujourd'hui la société en montgolfière vire à l'As de Pique. Pointe effilée comme un bout d'aiguille, les 5% de riches filent vers le firmament. Arc-bouté autour d'un centre qui n'en finit pas de choir, le corps ventripotent de l'as s'affale lui sur une base qui ne cesse de s'élargir. Le sens de l'histoire s'est inversé : c'est la classe des pauvres qui est nourrie maintenant par une classe moyenne qui se déclasse et qui refuse de le voir, celle des « nouveaux pauvres », qui vend son patrimoine, et sa modeste argenterie sur le Marché aux Puces, et recourt à un crédit sans fond, miroir aux alouettes, pour se sauver la mise ou, tête baissée, s'adresse honteuse au CPAS.
Les « trente glorieuses » ont construit ce mirage d'une société qui tirerait tout le monde vers le haut, fait de confort et de consommation débridée mais aussi de protection salariale que l'on croyait solide et solidaire. Elles furent le résultat de divers phénomènes convergents, comme celui d'abord de la force d'un mouvement ouvrier à l'apogée de sa puissance, un salariat fort, imposant des institutions considérables comme la fonction publique, la sécurité sociale, le salaire minimum légal, la réduction du temps d'emploi, les conseils d'entreprises et les conventions inter-professionnelles.
Mais les trente glorieuses sont terminées. Au nom de la modernité, du progrès, de l'innovation, les uns nous proposent alors un salariat version protohistorique, aux salaires toujours plus faméliques, avec une sous-couche sociale, celle des laisser-pour-compte, dans laquelle, comme au XIXe, le système puise quand le besoin s'en fait sentir, la classe de la « variable d'ajustement ». Les autres en appellent à un retour à des politiques keynésiennes reconstituant le mythe perdu d'une classe moyenne qui faisait rêver.
Et si ceci indiquait une urgence, une opportunité, celle d'une rupture, réelle, agissant comme une brisure que l'on ne recoudra plus. Car enfin, il faut le voir : dans ce système, il n'y a rien dans quoi nous intégrer, plus rien dans quoi nous insérer, nous lover, nous protéger. Alors, si on changeait enfin, radicalement, les règles du jeu ?"
Qu'en pense Bruno Frère ? quelle analyse porte-t-il sur ces questions ? Il nous livrera tout d'abord son regard de sociologue lors d'un entretien en live avec Thierry Müller de Riposte.cte, avant d'être confronté aux autres regards ou questionnements formulés à partir d'un public que nous espérons comme à chaque MHE créatif, à l'écoute, en recherche de construction d'une pensée collective et prospective: "Et si on changeait les règles du jeu ?".
Source : message reçu le 23 novembre 13h